lundi 24 décembre 2012

CONTE A REBOURS ( FINAL )

Comme tous les tueurs professionnels, les dézingueurs patentés, les nettoyeurs bessoniens,  j'étais froid et méthodique... Belle gueule impénétrable, yeux gris acier comme passés à la javel, le tout posé sur une montagne de muscles affûtés, torse large, tablettes de chocolat et gambettes en béton... Bref, un vrai héros de roman noir... Pas de sentiments,  pas de sourires, pas d'attaches... Seulement des suites dans des palaces où je trainais ma mélancolie entre deux vieilles anglaises rose-bonbon à moitié cuites par des soleils qui ne cessaient jamais de briller dans les pages des bouquins de gare...
Comme tous les zigouilleurs inscrits au RCO ( Registre du Crime Organisé ), je songeais chaque fois qu'une année disparaissait à prendre une retraite bien méritée... J'irais m'installer dans le nord du pays loin des cieux azuréens, où j'élèverais quelques cochons et pourrais commencer à lire l'oeuvre de Chateaubriand et l'intégrale de " Nous Deux " romans-photos dont je raffolais depuis ma plus tendre enfance... Disparaître... Un mot approprié dans le CV d'une barbouze... Même Jo le Maffieu et sa bande de spadassins perdraient ma trace... J'irais boire des Suze-Cassis avec les gars du coin en devisant sur les rendements de la betterave à sucre, et finirais conseiller municipal d'un bled dont le nom ne serait jamais inscrit au patrimoine de l'humanité...
Comme dans tous les navets estampillés " Série Noire " quand l'Oteur ne sait plus quoi foutre de son protégé en gabardine, j'avais, pour trouver la sérénité à accomplir l'Ultime et Dernier Contrat. Une vieille bique à tête d'institutrice d'avant la refonte  des cycles scolaires désignait de ses doigts crochus jaunis par la nicotine des gauloises sans filtre qu'elle s'envoyait par wagons ( ça fume et ça picole toujours dans les rengaines policières vous avez remarqué ? ) la victime expiatoire de mes basses-oeuvres.
J'avais occis des chefs de gouvernement, des chefs d'entreprise, des chefs de gare, des chefs indiens, des chefs étoilés, quelques sous-chefs, des couvre-chefs, même - j'ose le dire - une cheftaine... Une faute professionnelle grave à jamais gravée au débit sur mon agenda, mais chaque fin d'année arrivait sur mes tablettes un certain Monsieur Noêl qu'il fallait que j'estourbisse de la manière propre et discrète qui me vaut la reconnaissance de toute la pègre...
Je me rends donc chaque nuit du vingt quatre décembre rue des Mauvais Garçons, à l'heure où les réverbères s'éteignent... Je sonne chez le sus-dit, qui chaque fois vient m'ouvrir avec sa robe de chambre rouge et sa barbe de chez Monoprix... Et Paf... Selon mon humeur, j'étripaille, je strangule, je bastosse dans la couenne du zigoto puis m'en retourne content du devoir accompli comme un fonctionnaire enfile ses pantoufles,  déguster la dinde aux marrons chez ma vieille mère qui entre nous soit-dit prépare également une bûche au chocolat qui me ravit le coeur et l'esprit... Comme d'habitude, elle m'offre une bouteille d'eau de cologne Saint-Michel, et moi,  je lui lape la truffe comme un bon fils que je suis...
Une chose m'intrigue cependant. Depuis que je fais ce dur métier - plus de cinquante années -, depuis, qu'un adulte répugnant ( voir Jacques Brel ) m'a dit en rigolant que le "Père Noël " n'existait que sur les étals des super-markets, et que les cadeaux étaient fabriqués par des esclaves chinois, je n'arrive jamais à me débarrasser définitivement du bonhomme... Il est pire que le volatile bien connu des services de l'immigration qui renaît de ses cendres... Il revient tous les ans à la même époque me chahuter comme Sisyphe avec son caillou...
J'suis pas prêt de prendre ma retraite...

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 H                                                                                                           U                              ...