mercredi 1 mai 2013

CHRONIQUE LE TAON

Ils s'appelaient tous Boivert à Audouze... Enfin les trois baraques qu'étaient habitées... Deux vieilles cambuses à moitié en ruine au toit en tôle. Pas forcément la carte postale pour parigots en mal  de nature... Et puis la " ferme ", " l'exploitation " comme ils disaient... Un neveu qu'avait repris le cheptel de limousines et qui en chiait des barreaux de chaise à joindre les deux bouts...
Moi, je portais le courrier. " La Montagne " tous les jours et " La France Agricole " les jeudis qu'il pleuve ou qu'il vente comme on dit... J'étais jamais bien rassuré quand je mettais les pieds dans la cour. Fallait éviter les bouses, les flaques de mazout que le tracteur avait laissé derrière lui, les clebbards qui t'auraient bien chopé le gigot et surtout ces deux foutus jars qui te volaient dans les plumes comme un DSK en manque ( désolé pas trouvé mieux ! ).  La belle-fille m'avait laissé une trique pour chasser les intrus, mais tu vois bien, avec la sacoche, la mobylette et les dérapages dans la gadoue, c'était pas du gâteau... Y'avait jamais personne dans la grande cuisine. Z'étaient déjà au taf depuis belle lurette quand j'arrivais.. C'est que les bestiaux, c'est du boulot. Sitôt les pieds dans les bottes, le caoua tiède avalé sur le pouce, les moineaux partaient au cul des vaches... Je balançais le canard, les relances du C.A. sur la toile cirée entre les bols vides, les verres pyralex oubliés, les restants de fromages qui régalaient les mouches qu'avaient évité le ruban collant qui tirebouchonnait accroché au lustre que t'en voudrais même pas au puces de St Frusquin... Je vous raconte ça... C'est quand les chemins étaient praticables... Quand l'hiver, la poudreuse faisait des congères, que le blizzard te scotchait aux carreaux,  ils attendaient les nouvelles plusieurs jours... Ils loupaient les avis de décès, les délibérations du " conseil " et les pubs du super-market... S'en offusquaient pas plus que ça.. Comme de toute façon, l'électricité et le téléfon étaient nazes, ils allaient pas se tirer la couenne pour si peu... T'imagines aujourd'hui, deux centimètres de flocons et nous voilà gueulant, paraplégiques de l'interpet... Tournant comme des poiscailles dans le bocal...
Dans l'autre turne du bled, y'avait le frère et la soeur. Là, il fallait boire le canon... Casanov ah... Le velours de l'estomac. Faire le casse-croûte les mercredis, jour où le boucher passait... Manger le boudin quand ils tuaient le cochon entre les matous et les poules qui venaient te becquetter dans la main... Au début, j'avais un peu de mal... On a beau dire, la tripe à dix heures du mat, faut être du cru, faut avoir pratiqué... J'avais les boyaux qui renaclaient, et puis avec le temps...  Deux vieux de la vieille " noueux comme des pieds de vigne " aurait dit le Jeannot. C'était vraiment ça... Eté comme hiver, y'avait un bout de braise dans le cantou qui se bagarrait pour donner un peu de chaleur, qui faisait semblant d'exister... Je les aimais bien ces deux-là... On prenait le temps d'allumer un clop en papotant entre deux longs silences... Parce que le cul-terreux l'est pas causant... C'est pas lui qui va te casser les burnes avec le foutraque du monde... Je prenais des nouvelles des deux boeufs qu'étaient dans l'étable. Ca suffisait...
Je rembobinais tout celà devant ma téloche ces jours-ci en regardant Raymond, Marcel Privat et les autres... Ces portraits de cévenols qu'avait filmé Raymond Depardon dans les années 2000... Même tabac que ce que j'avais vécu... Sauf que moi, je passais mon temps, l'été, à éviter les taons qui venaient batifoler dans ma chemisette, le folklore de la cambrousse ça me passait au-dessus des naseaux... 
Faudrait qu'un de ces jours, je retourne voir les dégats que le temps a pu faire ( et non que le taon a pu faire comme l'aurait écrit un oteur de gare... ).


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