jeudi 6 juin 2013

INCONNU

Faut que je vous finisse l'histoire... Je sais, on va me dire que je rabâche... Que c'était il y a longtemps et que tout le monde a oublié les évènements qui ont secoué le pays... Qu'aujourd'hui on n'a que faire du bla bla d'un vieux gardien de square... Que le monde est un matou qui retombe toujours sur ses pattes et qu'il faut garder la tête haute même si on vit les pieds dans la merde...
Tout est allé très vite. Un matin la Commanderie a envoyé ses troupes d'élite... Des mastards moitié hommes moitié on ne sait trop quoi... Une armée d'engins bons à ratiboiser, à creuser, à niveler, à foutre cul par-dessus tête ce qui restait de notre montagne... Dynamitée de partout, attaquée sur tous les flancs, éventrée... Les cailloux d'un côté, les arbres de l'autre et le fameux " sang de la terre " de l'Emile ravagé jusqu'au tréfonds... Des drones avaient largué une vague de pesticides sur cette pauvre carcasse pour finir le travail...  Un vrai carnage qui repoussa les seminards vers la frontière,  condamnés à vivoter dans les marécages où jamais personne n'avait songé à s'aventurer... Les combats furent durailles, les ostrogoths n'étant pas du genre à se laisser marcher sur le tapis sans rechigner... Le brigadier Verdepeur laissa un bras et la moitié de sa tête dans ce fourbi et le bataillon " Puces et Morpions " ne fut plus jamais comme avant... Paraît qu'aujourd'hui, les vilains se sont adaptés, qu'ils vivent sur pilotis et bouffent des poiscailles et autres saloperies qui rampent dans la badmangrove... Qu'ils ont les pieds palmés et des écailles qui leur poussent sur la tronche... Faut reconnaître qu'ils ont la peau dure les zouaves..
Nous autres, plus friables, moins audacieux, plus enclins à courber l'échine, on a touché le pactole... Relogés, chauffés, éclairés dans des lofts spécialement aménagés aux abords de la ville et de ses lampions, on a fermé notre clapet devant tant de sollicitude de la part de la République... Bien heureux de retrouver une paire de pantoufles à notre pointure... 
Et puis le temps a fait le reste... Filoche a trouvé un nouveau boulot, Camarde est morte de sa belle mort, Nolan a fait les titres des actues après s'être évadé deux fois de la tôle et de finir plombé comme une caille un triste matin d'automne, le Maurice aussi a passé l'arme à gauche...  Le gouvernement a chuté empêtré dans des affaires de gros sous, et d'autre guignols sont venus grignoter le gâteau, la  Grande Curie a trouvé d'autres vierges à honorer... Il ne reste plus rien des projets, des contre-projets, des aménagements pour le futur... Rien qu'un vieux crane déplumé parsemé de vieux débris et de seringues à toxicos...Comme une vieille peau laissée à l'abandon... Et moi, je fais des rondes dans le parc aux frais de la princesse, à surveiller les jeunots qui chipent les fleurs et pissent dans la fontaine... C'est peinard... Comme je suis vieux, on me fout la paix.. J'ai même commencé à relire "Au dessous du Volcan " du vieux Malcolm... C'est vous dire...
Filoche parle de déménager dans le sud, de reprendre un Tobby qui remplacerait Camarde... Mais c'est compliqué et il paraît que la-bas aussi ils élaguent à tout va... On ne sera bientôt plus qu'un désert... Un truc plat comme le fonds d'une poêle... Pourtant quelquefois, je sens comme un tremblement sous mes pieds, y'a des remugles, des odeurs qui montent... Je suis sûr qu'un jour tout va nous sauter à la gueule et ce jour-là  peut-être arriverons-nous à résoudre cette histoire " d'Inconnu "...

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