samedi 2 novembre 2013

NUAGES

JOURNAL DU 1 NOVEMBRE 1958.

On est allé " sur les tombes " l'après-midi... Sans doute pour que les " hommes " puissent digérer la bouffe et la goutte qu'avait coulé à flots... Il faisait un froid de chien et le vent d'est qui soufflait comme la forge du diable faisait plier les petites croix et courbait les peupliers qui cernaient le cimetière... C'était une expédition pour monter là-haut.. Tous entassés dans la 203 Peugeot du tonton qui me foutait la trouille avec son air sérieux, son gros bide et son tarin tout cabossé... Personne ne mouftait malgré le fossé qui se rapprochait dangereusement dans les virolos à cause de la goutte justement... Quand on est arrivé, y'avait un monde fou avec des tas de bouquets que j'ai vraiment pas aimé... Des grosses fleurs qui semblaient toutes tristes dans des pots en terre qu'il fallait être au moins deux pour les porter... Là-dessus, il tombait une saloperie de pluie glacée qui descendait le long de ma capuche et me coulait dans le dos que j'en avais la tremblote... Je me demandais vraiment ce qu'on fichait là à se geler les glaouis alors que Bob Morane que j'avais laissé bien au chaud sur le canapé s'apprêtait à choper les trafiquants de diams... J'avais la morve au pif et les larmes sur les joues... Et puis fallait pas bouger... Se recueillir devant un carré de terre... " Au garde-à-vous devant le Bon Dieu " a dit mon père qui pouvait pas s'empêcher de dire une connerie... Remarquez c'était plutôt joli toutes ces tombes... On voyait tout de suite de quoi y retournait... Celles des pauvres, les toutes vieilles, avec leurs croix toutes rouillées posées de travers que tu te disait que les macchabées là-dessous z'avaient au moins connu Saint-Louis, que j'aimais bien comme roi sous son grand-chêne quand Monsieur Hoffert, l'instit nous racontait comment il rendait la justice, et puis les chevaliers, les croisades... Les vilains musulmans ( déjà ! ) avec leurs barbes et leurs épées recourbées... Et puis les autres caveaux... Des vrais monuments qu'on pouvait rentrer dedans, avec des plaques, des photos de bonhommes à bacchantes et de femmes à chignon... Sur le petit gravier blanc, y'avait des gerbes plus grosses que celle de Charly Gaul quand il avait gagné le Tour... Je me suis fait engueuler parce que je courrais sur les bordures en marbre pour me réchauffer...
Bon, vu le temps on a pas moisi dans le champs de navet... Ma mère a fini vite fait ces gestes que le curé nous apprenait au catéchisme et que je me mélangeais toujours dans le sens, et le vilain tonton a dit qu'on devait rentrer avant qu'il fasse nuit et qu'on chope une pneumonie... " Ouais on a bien le temps de les rejoindre tous les allongés " qu'il a redit mon pater en allumant la goldo qui fait tant de mal, mais qu'en ce temps-là, on savait pas, et c'était aussi bien...  Ça a fait une sacrée buée dans la guimbarde quand on s'est tous rangé en vrac les uns contre les autres pour se réchauffer la couenne,  et j'ai fait des nuages avec ma bouche pendant tout le trajet du retour...

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