mercredi 7 octobre 2020

7/10

 Ha ! Ces manies de vieux célibataire... Ces vieilleries venues d'un autre âge... Comme elles sont devenues indispensables au déroulement de mes petites journées... Le rythme se fait plus lent, plus lancinant, qui emmène vers la désolance, la désespérance... Si je suis encore alerte de l'esprit, capable de poser quelques rimes sur du papier, d'écrire quelques mots dans ce Journal, mes jambes ne me portent plus guère, et ma vue a terriblement baissé. J'évite de sortir de la maison, même pour les choses les plus banales, l'alimentaire ordinaire, les bricoles de la vie courante. Visite chez le vétérinaire pour ma couvée, thé, et gâteaux secs chez M. D. la seule qui me comprenne un peu... Je déjeune sur le pouce, grignote un peu de pain rassis, quelques pauvres fruits... Un peu de viande que je partage avec mes bêtes... Comble d'ironie, moi qui jadis, était un hygiéniste convaincu, toujours rasé de près, moustache taillée, et sous-vêtements propres, même aux pires moments de disette, voilà que je perds le goût de la toilette. Dernièrement, croisant un quidam, je l'ai entendu maugréer ( parce que j'ai encore l'ouïe fine ) " Ce bougre sent plus fort que le cul d'une vache ! ".. De toute les façons, je ne supporte plus " l'ordre sociétal " dans lequel marinent mes congénères. Faire la queue devant la boulangerie m'exaspère, le bruit des ambulances me fait sursauter comme un chat, et je change de trottoir si j'aperçois une connaissance qui voudrait, oh ! triste réalité !  prendre de mes nouvelles... Je n'ai que faire de l'avancée du monde dans ce nouveau siècle, de la technologie galopante, des nouveaux chapeaux à la mode, et des politiques qui grimacent... Depuis toujours, j'ai évité de me mêler des " affaires " , des réunions, et des diners en ville, trop occupé à noircir des pages, à critiquer ( ma pitance ) le théâtre, ou la littérature, tous ces auteurs qui maçonnent à la truelle des ouvrages illisibles...
Aujourd'hui, tout près de mes 76, l'avenir me m'appartient plus. J'ai seulement du souci pour mes bêtes, qui sans moi ( je pourrais disparaître prochainement ) deviendraient orphelines...
Contrefaçon du Journal Littéraire
de Paul Léautaud. Année 1949.
Le Merle qui lorgne sur l'épaule
de son voisin...

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