Quand Boris rentrait à la maison, il sentait la bière, la merguez, et le pneu brulé. Depuis des mois ils occupaient l'usine, rongeaient le peu de gras qu'il restait autour de l'os. C'était sans espoir, mais il fallait lutter encore, conserver cette solidarité qui prenait les hommes en détresse, et leur donnait un peu de cette humanité qui venait du fond des temps... Ce n'était pas une révolution Sire... Juste une révolte... Un ras le bol devant le mépris des marchés, des délocalisations qui emmenaient la pauvreté ailleurs, dans des pays où la faim justifie les moyens... Il faisait froid... Un temps à ne pas mettre un cabot dehors, alors, Balthus, peu concerné par les conflits sociaux, restait peinard les papattes en rond, près du vieux poêle à bois, même si la vilaine Fanny lui promettait un avenir sans croquettes, et sans os à moelle... 

J'prends une douche, et j'y retourne ! On va voter, savoir si on fout le feu aux machines... Et si c'est pas assez, y restera l'ardoise... Elle va être salée, j'te jure... Les promesses va falloir les tenir, sinon on fait sauter la marmite ! On ne reculera pas ! T'as pas un peu de soupe ?

La soupe, j'en préparais des gamelles que je portais aux " insurgés ". Autour des palettes qui flambaient, y'avait une sacrée ambiance... Ca sentait le café, la goutte qui réchauffaient les coeurs. René, un  vieux de la vieille, qui avait connu les grandes grèves des années de braise, faisait la tambouille en gueulant après le gouvernement, les bourgeois, et tiens... Après le Bon Dieu, ça coutait rien de secouer les bigots du patelin...

J'emmenais le vieux avec moi, ca lui faisait prendre l'air... En chemin, je l'entendais murmurer des vieilles chansons anarchistes qui lui revenaient en mémoire. Lui qui ne savait plus enfiler ses chaussettes, voilà qu'il vous récitait " le chiffon rouge " ou " Mort aux vaches " comme un premier de la classe... 

Quand les gabelous du roi sont arrivé pour évacuer le chantier, il a levé le poing en gueulant " Vive la Commune ! ". On en rigole encore dans les files de Paul Emploi...

Ces gens là.