mardi 24 janvier 2023

(5)

 Ce n'est qu'un orage ! fait pas ta fiote ! A l'abri dans la cabane où le fossoyeur range ses outils, au milieu des pins parasols, et des tombes en lambeaux, Judith m'explique que Léo Ferré, de passage dans le coin, a écrit une chanson sur le bled, pendant une soirée bien arrosée. Un hommage appuyé à la taulière du resto, et à ses petits farcis. J'ai une vague idée du texte que je croyais dédié à Marie, la donzelle qui partageait la vie du poète avant leur départ en Toscane. Ce Français Toscan de Monaco si bien chanté par Romain Didier dans un album qui prend la poussière dans ma discothèque, juste devant le E d'E.L.P., un trio de musicos bavards, fins techniciens, mais pénibles pour mes oreilles ensablée dans mes vieilles lunes, se rappelle à mon bon souvenir, et je me surprend  à siffler une Jolie môme qu'est toute nue sous son pull, comme une Greco érotissime (?).
 Depuis une huitaine, nous arpentons les chemins de chèvre de la région, suant beaucoup, bouffant très peu, pour finir les journées au bord de la mer, à regarder les fanaux des yachts qui draguent des anglaises fardées comme des putes, au bras de vieux caniches de casino sur cette promenade qui dans quelques années, ne sera plus qu'un champ de ruines. Au hasard des épines, des cailloux secs comme nos cors aux pieds, on croise des gugus à poil, des zizis à l'air, des nichons en goguette, des cricris en jachère. C'est curieux tous ces vieux qui éprouvent le besoin d'étaler leurs restes poussiéreux, comme pour se mettre à l'aise avec la mort qui les guette. Judith se marre devant tout ce bazar. Elle fait trois petits sauts, et très vite, pense à autre chose.   Il n'est pas rare qu'après ces longues courses, attablés dans une guinguette devant une assiette de poisson bien méritée, elle (Judith) me raconte ses autres vies. Cet ancien amant, qui croyant bien faire, la promenait sur la Corniche à bord d'une Porsche d'un autre âge dont elle n'avait que faire, ou cet autre qui avait mis le feu à la porte de son appartement parce qu'elle ne voulait plus de lui. Ses multiples aventures ne lui retirent pas sa bonne humeur. Judith est une optimiste convaincue. Une qui croit à la beauté de l'homme au milieu des éléments, à l'âme des arbres, des animaux, et me semble prête à déplacer des montagnes, si on lui laisse le temps. Cette parenthèse que nous vivons tous les deux, avant de repartir chacun de son côté, trouvera bien plus tard, sa place dans la boite à malice. Un jour de Septembre, ma femme, et moi, cherchions quelques théières cabossées à se mettre sous le napperon à la brocante annuelle du patelin, quand j'aperçus Judith derrière un stand de bougies, de lampes d'Aladin, et de colifichets censés apporter la sérénité, et la joie de vivre dans nos foyers barbares. Elle leva les yeux, sembla me reconnaître, esquissa un sourire de madone, et retourna à ses affaires. Je n'eus ni l'audace, ni l'envie de m'approcher d'elle. Il y a des fonds de marmite qu'il n'est pas bon de réveiller.
Septembre 1999.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

 H                                                                                                           U                              ...