Il a fait frisquet cette nuit. Les gamelles des chiens sont gelées. Ces crevures sont trop bien nourries. Ils font des restes, finissent jamais leurs auges, ou alors, ils sont comme nous, n'arrivent plus au bout des rations... C'est que la tribu n'est plus de première jeunesse, et quelquefois l'appétit vient à manquer. On s'attarde sur un fond de sauce, sur un crouton de pain, un morceau de claquos... Il faut comprendre. Emma, a la main lourde sur la bouffe. Toujours la peur de manquer, l'assiette pleine qui ne craint pas le manque, et remplit le ventre. Toujours une louche de plus pour "la part du pauvre" qui n'arrive jamais. Aujourd'hui, les pauvres ne frappent plus à la porte comme jadis. Ils hantent les services sociaux. Attendent au cul du camion le kilo de pâtes, les yaourts périmés, les deux litres d'huile pour le mois, ces curseurs d'une économie en berne, avant de filer se planquer dans des gourbis sans âge qui sentent le graillon, le choux, la bière en boite, et l'écran plasma qui les a mis sur le flanc. Ce siècle des lumières s'éteint doucement, ce pays de Versailles a besoin de distractions, de talk show, de soap opéra, pour oublier ses fractures. On taille dans le vif. D'un côté, les bons, de l'autre les méchants. Si c'était si simple...
Il faut gratter le givre sur les vitres, enlever vite fait les panneaux qui protègent la porte bancale, s'activer devant les dernières braises. On se croit mèche, on est que suif chantait l'homme des Marquises, et l'on se prend à envier les logements du centre ville, le chauffage à foison, les clics des interrupteurs qui vous guident vers la salle d'eau au sortir du pucier, la cafetière en route, et ces pulls qui traînent partout, qu'on a bien le temps d'enfiler. L'hiver aime le confort. Il rechigne devant les huttes, les cambuses qui gouttent, les maisons de basse souche, comme sur les gens mal-nés, les sans abris qui fuient les maraudes. L'hiver détourne les yeux, aime la neige qui tombe derrière les fenêtres, les arbres nus, et les écharpes qu'on noue autour du cou pour ne pas prendre froid...
Janvier 2016.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire