dimanche 27 août 2023

Ces gens-là

 Quand l'autobus se gare sur la place de la mairie, le Jacques sait qu'il a encore deux bons kilomètres avant la maison.  Il faut traverser le pont qui enjambe le canal, grimper par le saut du chat, avant d'arriver aux grands champs. Avant que Léonie la chienne vienne lui saloper les chaussures, et le bas de pantalon. Il suffira d'une caresse pour que la cabote s'en retourne, comme pour annoncer la bonne nouvelle, aux autres. Les autres qui disent comme çà... L'été, c'est plutôt agréable. Il pense à Frida. Aux baisers furtifs, aux rendez-vous chez Fricotin là où personne ne fait attention à eux. Aux belles promesses dites en écoutant Jacques Brel, que Frida aime tant. Il vole. Il lui est même arrivé de jeter sa cravate au fossé, dans un grand cri de guerre... Mais ça ne dure guère... Il est des gens qui naissent le dos déjà vouté, à croire que leur premier cri poussé fut un cri de frayeur. Une injonction à s'oublier dans la marée humaine. L'hiver, c'est un autre refrain.... Il faut se battre contre les éléments. Le froid, la pluie, la brume sur la Beauce impassible, cette tristesse impossible*... La neige en congères soufflée par le vent mauvais qui ramène en cascade la moustache du père qu'est mort d'une glissade, le frère ivrogne, la mère qui n'dit rien ou bien n'importe quoi, et les autres, tous les autres, qui ricanent quand il parle de Frida, qu'est belle comme un soleil. Enfant, on l'appelait Jacquot, ou Jacquou, à cause du film. Il aurait préféré Jack comme les héros de western qui crèvent l'écran de l'Excelsior, et encore aujourd'hui, quand la colère le prend, et qu'une envie folle de partir ailleurs lui serre le ventre, il aimerait s'appeler Jacky comme dans la chanson...
*Gilles Servat.
Ces gens-là.
Jacques Brel.


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