mercredi 9 mai 2012

CHRONIQUE LE TEMPS

Le vieux s'est redressé. Les mains sur les reins, il a fait quelques mouvements pour assouplir sa carcasse. Il a bu un coup de flotte en essuyant la sueur qui gouttait sur son crâne chauve et au bout du lampadaire qui lui servait de tarin. D'où j'étais, je sentais ses osselets qui craquaient comme ces bouts de cagette qu'on cassait pour allumer la cheminée. 
- Putain c'est les travaux forçés... Pire qu'à Cayenne à la grande époque, pire qu'au Stalag - il a dit un grand sourire sur sa bouille de Taras bulba. Bien sûr, il avait jamais goûté au bagne. Et le stalag, j'en savais rien, je pose pas de questions.. Mais quand t'en chies vraiment, c'est la chiourme, les galères ou Biribi qui te viennent à l'esprit... C'est des images, des éléments de langage comme on dit aujourd'hui... Une façon de dire que t'en as plein les bottes, une façon de se résigner aussi... Fatalitas ! Vous connaissez...Ce type m'étonnait. Il avait toujours la banane. Je suis sûr qu'avec un aller simple pour l'enfer dans sa poche, il continuerait à se bidonner... C'était un vieux paysan bressan. Une image d'Epinal à lui tout seul... Un vrai cul-terreux comme on imagine. Court sur pattes, mais solide, je dirais compact... les cuisses comme des jambonneaux, les paluches en formes d'enclume... Tout près de la terre... Une vraie carne dure au mal, une loco qui ne s'arrête jamais... Avec ça toujours l'envie de bien faire, toujours partant pour la bavante... Bref, une aubaine pour un patron pas regardant.. S'il avait des potes dans la vie, c'était sûrement un pioche et un râteau... Moi, il m'explosait la cafetière... Payé à coups de lance-pierre, faisant le taf dont personne ne voulait, il continuait à plus de soixante balais à rouler comme une moissonneuse batteuse toute neuve...
Corne d'Auroch... J'ai proposé une pause clop, une halte au bout du rang, là où il y avait un semblant d'ombre... Il a secoué sa tronche de bouledogue content quand même de poser son cul dans l'herbe. J'ai réalisé soudain qu'on était tout seuls, paumés au milieu de deux hectares de vigne, loin de tout, à griller sur le barbuc du mois d'Août. J'ai pas moufté, moi aussi, j'étais trimard dans cette vie.
Et puis en ce temps-là, je parlais pas beaucoup...

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