mercredi 24 juillet 2013

AOUT QUATORZE

Et soudain, lui vient cette idée saugrenue. Comment peut-on oublier la rondeur d'un sein, la courbe d'une hanche entrevue au travers d'une robe d'été... Ce regard vert qui s'affiche comme le plus suave, le plus voluptueux de ce coin de pays, si ce n'était ce léger strabisme qui lui donne un air de clown qui fait des farces devant la galerie... Pourquoi ne garde-t-on pas les rires des enfants, pourquoi les partitions de musique s'envolent et, nous reste le silence comme une corne de brume éteinte... Comment peut-on perdre le goût du vin frais et l'odeur de cigare qu'un vieil homme avait allumé près de lui. Cette fumée qui ondulait autour de la chevelure - encore drue mais si blanche -  qu'elle semblait laisser des traces grises, de gros nuages d'orage qui venaient salir la belle ordonnance immaculée des cheveux du bonhomme... Il aurait aimé trempé ses doigts dans le cirage et tiré des traits de noirceur sur cette boule neigeuse. La tête du vieux en aurait pris des airs de zèbre ou de jeu de dames ... Ou encore lui faire une bobine de léopard ou de panthère s'il appuyait ses doigts de façon désordonnée, exerçant de légères pressions du pouce et de l'index.. Et le vent qui vous chatouille les narines sous la tonnelle les nuits d'été ou la tempête qui fait craquer les jointures de la barraque quand l'hiver rode et fait loucher le paysage... Ca le chafouine tous ces grands pans d'absence, même si chaque matin, il note la température et respire la saison, la robe d'Odile reste un mystère...
Foutaises et calembredaines dit son frère qui se prépare pour la guerre. Tu lis trop de livres... Ces joueurs de mots sont des escrocs, des manipulateurs... Des fifrelins qui se gobergent de mauvaises pensées, celles qui ramollissent l'homme... Et voilà ta caboche prise comme le clou dans l'étau, qu'on tord ou qu'on détord selon nos envies... Je ne serai pas absent longtemps, cette pouillerie ne durera pas, nous en aurons vite fini avec ses sabreurs... On va déculotter le Kaiser et ses casques à pointe... Cette maudite engance qui nous cherche des crosses pour je ne sais quoi... Sûrement des affaires politiques qui nous échappent à nous les bouseux tout juste bons à crever pour une histoire dont nous ne verrons pas la fin... Les bourreaux trinquent avec le sang des brebis, c'est toujours comme ça..
Il faut que tu sois fort, que tu t'étoffes... Prenne du gras et de la viande... Le garenne en bonne forme ne craint pas le renard... Et dieu sait, s'ils sont à l'affût les goupils de tous poils... Sûr qu'ils te chercheront des noises, feront des grimaces devant la glace de l'armoire et cabosseront les pieds de ton lit si tu n'y prends garde... Je laisse tant de choses... Qui va fendre le bois et s'occuper des bêtes... Tes écrivaillons peut-être ? Il  faut refaire le parc à moutons et rentrer le fourrage... " Si ce n'est toi, c'est donc ton frère " dit la fable... Vois-tu je doute... Quand tout sera mis dessus dessous, il te faudra bien te battre contre le gros temps et le bruit du canon... Sinon je ne donne pas cher de ta peau, et crois-moi, on t'oubliera vite...
Il lève les yeux de son livre et dit " Je ne serais pas contre le fait qu'on m'oublie... "

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