vendredi 19 février 2016

ISSUES DE SECOURS...

2031. Ignace Perfide est un jeune homme de quatre-vingt ans. Depuis plus d'un demi-siècle il habite  le même pigeonnier aujourd'hui à moitié en ruine, la même niche noircie par la suie du temps,  oublié dans le mouroir qu'est devenue la ville où il vécut les meilleurs moments de sa vie. Cette ville qui battait tambour dans les années de braises, arrogante et consumériste, toute acquise au pouvoir de l'argent et du clinquant, aux influences complotistes et aux ragots de bistrot, danseuse complaisante, jolie cocotte qui soulevait ses nippes pour quelques billets et tours de passe-passe. Cette cité  qui avait mis hors jeu bon nombre de ses habitants trop pauvres, trop endeuillés par la dette souveraine, la gabelle indue, les logements insalubres et la recrudescence des maladies infectieuses... Ces déplacés " d'office " trop, basanés, trop nombreux, dépenaillés, la gorge ouverte par les guerres intestines,  ou simplement trop vieux pour vibrionner encore dans la ruche qui avaient fait d'elle ( la ville ) un triste marigot où quelques joueurs de bonneteau traficotaient le hasard et la chance. Des arpenteurs de l'avenir en forme de sablier, qui souvent, s'oubliaient dans le goulet... Finalement le " Viens pas pioncer sur mon palier  "érigé en philosophie nationale l'avait saigné à blanc. Et si l'on croisait encore quelques badauds dans les rues, ils ressemblaient à des pigeons égarés sur la place St Machin avant qu'elle ne disparaisse définitivement sous les flots...
Ignace, par fainéantise plus que par conviction, ne croyait pas au miracle ( Il avait cessé de participer aux litanies obligatoires dans les années 2025, faisant valoir son appartenance au groupuscule " Éphémère et Darwinisme " dissous puis entré en clandestinité lors de la grande procession de la Madone et des purges de 2026 )  devait admettre qu'il s'en tirait à bon compte. Il avait échappé aux grande rafles de l'été 2028, à la déportation des plus de soixante-dix ans vers les camps d'Inutilité Publique, les croisières de Non Retour organisés les comités de " Jeunesse et Savoir Faire ". Doté  d'une forte constitution, d'une chaudière en état de marche, alimentées journellement par les petits verres de vipérine - Il s'en tenait aux vieilles méthodes, refusant d'ingérer les plaquettes de sérénité prescrites par la Commanderie - il sera épargné par l'épidémie de typhus ( vite enrayée il faut le dire ) et la poussée de fièvre noire qui laisseront sur le carreau  des flots de pékins qu'il rencontrait sur les marches du Temple. Toujours prudent, il évitera également les amours dérisoires, les copulations compulsives, les souvenirs oubliés.... La traque du passé, les cures de jeunisme et son image de vieille carne dans le miroir du salon. Vieux baudet qui rue des quatre fers quand des relents de guerre parfument son avoine, et pleurniche en regardant des mélos des siècles passés, amateur de mambos rétros, il sera oublié dans les recensements et continuera à lire d'anciens livres papier sans que la " communauté " se préoccupe de ce rémora accroché à ses flancs...
19 Février 2031. Ignace regarde par la lucarne du haut, branche la cafetière qui détecte ses angoisses,  remet au lit Madame Bobinneau qui souffre de somnambulisme mélancolique et note sur son journal : 
Brouillard et pollution matinale. Penser à colmater les issues de secours.

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