vendredi 8 avril 2016

UNE AUTRE TERRE

2031. Promis à un avenir de centenaire, ou plus si affinités ( voire kroniques précédentes ), notre Ignace national constate un matin de grand vent que le compte n'y est pas... Que le futur ressemble à une carte biseautée tirée par un illusionniste de cour d'école, un batteleur de foire agricole...  Une fièvre venue du fond des âges et une absence d'images sur ses écrans favoris le rendent ronchon et impulsif au point qu'il en oublie d'écouter sa vieille musique en se grattant les parties, gymnastique matinale qui d'habitude lui ravit les sens et excite ses trompes d'Eustache... " Ousqu'on en est ? " s'écrie notre bourricot en colère... " On n'est pas rendu ! " renchérit-il, s'enfonçant un thermo dans le fion, instrument barbare dont le mercure, substance on ne peut plus louche, indique que le sentiment atrabilaire de notre baudet n'est pas usurpé...  Et de maudire toutes les cartomanciennes, diseuses de bonne aventure et autres pythonisses qui lui promettaient des lendemains luxurieux remplis de petits hommes verts et de soucoupes volantes... Les aventures prévues dans les univers de Wells, d'Huxley ou de K Dick tombaient à plat. Pas plus de Guerre des Mondes que de sel dans la soupe... Depuis le début de ce siècle à part quelques trouvailles, des greffes de neurones par ci, des manipulations génétiques par là,    (l'organisation de J. O pour athlètes dopés par exemple... Grande trouvaille des consortiums pharmaceutiques ! ) ou la disparition d'espèces animales dont on se foutait royalement, les augures s'étaient gourées... Le Nouveau Siècle des Lumières barbotait dans une fange mêlée de grisaille, de pollution ordinaire, de guerres intestines, fins de mois difficiles et crèves-la-faim confinés dans des quartiers que l'on disait " déshérités ". Terme étrange quand on savait que les loquedus habitant dans ces taudis n'avaient aucunes idées de la notion " d'héritage " occupés qu'ils étaient  à tirer la queue de la ploutocratie dominante... Le monde végétait, se rétrécissait, bougonnait comme un vieux qui fait sous lui,  et les nouvelles générations ne valaient guère mieux que les anciennes... A croire que les bébés éprouvettes, les nano-machins, le vivre sain et sans accrocs, la robotique, les sondes Martiennes et les anneaux de Saturne qui s'ennuyaient tout là-bas, toutes ces fredaines mises au service du premier venu,  dont on avait cru pouvoir tirer profit pour soulager l'humanité en quête de moulins, étaient restés au stade larvaire... Pas de savants fous pour inculquer des idées neuves, des sensations nouvelles ou des équations à cinq pattes... La cuisine, fût-elle moléculaire manquait singulièrement de piquant..
Les kroniqueurs des années à venir, décriront cette époque comme un voile opaque jeté sur des jours sans appétence aucune... Un espace sourdingue bien orchestré, seulement troublé quelquefois par des manifestants et des flics qui comptent les forces en présence... Pas de quoi sucer la moelle d'un os ! ressasse Ignace en prenant ses cachetons...
- Ça pue pire qu'une carcasse de baleine échouée ici ! s'écrie Suzanne Bobinneau, sa compagne de toujours, lisant les nouvelles dans le marc de café... Faudrait aérer un peu ! Sortir ! Prendre la pouls de la matrice ! Surexcitée par le manque de sommeil - Elle ne dort plus, craignant de tout oublier - la bonne vieille secoue sans cesse son prunier... C'est sans espoir. Il est enraciné dans une autre terre...
  

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