jeudi 19 janvier 2017

TRANCHE DE MORT

L'équation était simple... Soit tu te prenais les obus, le shrapnel enragé,  la mitraille des boches... La baïonnette qui t'ouvrait en deux comme un garenne... Même planqué dans ton trou, y'avait un risque non négligeable de servir de paillasson à la Faucheuse... C'est que la garce en ce temps-là essuyait ses petons n'importe où, n'importe quand... Bretons, Lorrains, Bavarois, Prussiens ou Sénégalais, la salope ne faisait pas dans le détail... Soit tu te faisais la malle... Y'en a eu plus qu'on croit... On parle toujours des cocos, des intellos, des anarchos qu'ont fini au poteau pour une cause perdue d'avance, mais rarement des pauvres bougres qui se sont fait la valise simplement parce que les circonstances le permettaient et qu'ils se voyaient pas finir en peau de chagrin... Des gaillards remplis jusqu'à ras bord de scoumoune,  qui savaient à peine écrire leur nom, ignoraient tout de l'Autriche-Hongrie et se foutaient pas mal de l'Archiduc de mes fesses... Faut dire que le chagrin, c'est dans les familles qu'il rôdait, les tranchées,  y'a pas qu'au front que les forts en gueule les creusaient. Les historiens-nimbus d'aujourd'hui le disent bien, quand on a fait les comptes après la soustraction finale, restaient plus beaucoup de bellâtres pour jouer de la mandoline à leurs belles...
Moi, je suis resté... Je sais pas pourquoi... La peur du bandeau final ? Même pas... J'avais trop de macchabs en stock pour choper la trouille devant le peloton... Plutôt, la fatigue... Pas plus confiance dans l'avenir que ça... Mais fatalitas ! Et puis, j'avais des relents de gaz moutarde dans les narines, alors on m'avait fait quitter les premières lignes... " Un planqué " comme on disait alors... Planqué, c'est vite dit, j'avais les éponges qui charraient de la sciure de bois... Je m'occupais d'une cantine, un bourricot devant et vingt bidons derrière qui contenaient un frichti que les gaspard dédaignaient... Le hommes non... Les hommes quand tu les broies, ça ose tout...
En 17, pendant l'offensive du va-en-guerre Nivelle, je suis remonté au casse-pipe avec les Dames.et là,  je peux te dire, on a dansé la carmagnole avec le diable... J'ai eu du bol... Le canasson et la charrette sont partis en confettis, et moi, je me suis retrouvé quinze mètres plus loin à compter mes abatis dans la bouse... Pour une fois que j'avais de la chance dans ma vie, j'allais sûr la pècho, comme vous dites aujourd'hui... C'est à ce moment qu'ont commencé les grande mutineries, celles qu'on cache dans les livres d'histoire des loupiots pour pas leur donner de mauvaises pensées...
Contes du Poilus
Editions Casse-Pipe.
Dessins Tardi.

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