vendredi 20 janvier 2017

LA MUSIQUE DES KIOSQUES

Courir, toujours courir... D'un point, l'autre... Sans même savoir où exactement... Se battre, toujours se battre... Se battre ? Même pas... On pourrissait plutôt sur pied en attendant les ordres, les contre-ordres tout ça dans le désordre... La première ordonnance venue t'envoyait à pet à ouchnok reprendre un trou que les autres avaient déserté... Un carré de luzerne épargné par les obus... Comme si un morceau de pré allait sauver le pays...  Récupérer un maccab... Un pauvre bougre de normand qui mettait du calva dans son vin et regrettait ses vaches et sa "promise " comme ils disent là-bas... On récupérait sa plaque, pour la famille et le monument à venir qui immortaliserait la grande déconade...  Quelques moricauds en profitaient pour lui secouer son alliance, ouvrir sa gueule et arracher ses dents en or... L'homme est un loup pour l'homme... Mais jamais tu verras un lupus détailler un congénère de cette façon... Y'a que les hommes pour braver le malin ! Faire mieux que lui !  La fameuse guerre " de tranchée " c'était que des types qui ronflaient dans leur pisse, des moitié-dinguos qui racontaient des histoires et lorgnaient de temps en temps, voir si un schleu pointait le bout de son casque à pointe... Se faisaient tartir aussi les teutons d'en face, pareil que nous... On avançait de dix mètres, on reculait de quinze, on se faisait coucou... On n'allait pas jusqu'aux papouilles, mais y'avait plus d'envies... Et tous, on attendait pareillement que la tripaillerie se termine... Tous, on avait la même idée dans la tronche... Que l'on avait assez saigné la brebis... Que ce foutoir ne servait plus à rien.. Qu'a faire briller les bottes des généraux d'opérette qui gâtaient les marquises émoustillées par tant de gloriole...
Quand tu as vingt ans, les pieds dans la merde, le sang, la trouille et le mauvais vin, c'est normal qu'il te vienne des envies de te carapater... Ceux qui revenaient de " perm " nous le disait... A l'arrière, le pays bougeait pas plus que çà... Pendant qu'on vendangeait du raisin d'humain, qu'on s'esbignait à tort et à travers pour des idées qui changeraient le lendemain, ça jouait toujours de la musique dans les kiosques...
Les Contes du Poilu.
Editions Casse-Pipe.
Dessins Tardi.

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