jeudi 23 février 2017

RAMASSE-MIETTES ( 4 )

Il y a la Belle et l'Ivrogne... Cela ferait un joli conte, une fable digne d'un La Fontaine de banlieue, une histoire à ne pas mettre un alexandrin dehors...
Pour la Belle, on sait... Elle est partie un matin n'emportant qu'une petite valise, un imper beige et  le foulard que lui avait offert sa mère le jour de ses dix-huit ans... Elle a laissé la maison ouverte, le jardin en friche... Ses dernières illusions, ses amours de cruche cassée qui  ne pesaient pas lourd face aux bleus qui couvraient son corps... Aux gnons arc-en-ciel,  qu'un agent de police zélé aurait emmené illico au tribunal...
Elle a pris un bus, assise juste derrière le conducteur... Pour ne pas voir le jardin d'enfants ( qu'elle n'aurait jamais ), le salon de sa copine Francine et la rue de la soif ou l'Ivrogne s'esbignait avant de rentrer au bercail,  de la fureur plein les pogne...  C'est drôle un dos d'homme bien droit qui bascule un peu à droite, à gauche, à chaque manoeuvre... Les oreilles sous la casquette semblent se balader aussi... Elle a compté les pellicules sur les épaules du chauffeur, les cheveux qui dépassaient un peu du col de chemise, les plis dans le cou qui tenaient la tête bien accrochée, comme une écharpe posée sur un cintre...
La navette a traversé la ville qui s'éveillait dans le matin, ramassé quelques travailleurs silencieux comme des abris-bus... Des hommes, des femmes qui partaient au chagrin, engoncés dans les soucis de la nuit et dans un avenir de miettes et de toile cirée... Elle, comme dans une mauvaise panouille,  irait à la gare, sauterait dans le premier train venu ( qu'importe la destination, l'arrivée ne pouvait pas être pire... ). Nous la verrions dans une autre ville, cherchant un mouchoir au fond de ses poches, parce que quelques larmes embueraient ses yeux... Un joli moment de tristesse avec les violons du bal et un coin de soleil pour illuminer la scène... Mais n'anticipons pas...
Si nous étions au XXIe siècle, l'histoire en serait changée... La Belle aurait smartphoné  l'adresse d'une association de défense des femmes battues, aurait poursuivi l'Ivrogne jusque dans son ruisseau, entourée d'avocates féministes qui tiendraient procès... Elle aurait obtenu réparation devant un parterre de magistrats, dont le président - c'était connu dans les prétoires - tâtait lui aussi de la bouteille... Mais cet ivrogne là, ne battait pas sa femme... Ce qui change bien des choses et la morale de la fable...

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