lundi 12 juin 2017

LAVACHE

Je m'appelle Emile Lavache. Ne voyez aucune malice dans ce patronyme... Mon patron - c'est lui qui ouvre ou ferme l'Usine à sa guise - pensait,  dans un enthousiasme puéril et non remboursé dans les cercles littéraires, m'appeler Lucien de Rubempré, Abel Tiffauges ou Ferdinand Bardamu, ce qui augurait pour moi, un avenir plein de promesses. Mais ces gugus étaient déjà sur le marché, encombrant depuis longtemps les étals, sans que personne ne trouve à redire sur leur notoriété, ou sur le mal qu'il y avait à suivre leurs aventures... Hubert Bonnisseur de la bath ou Son Altesse Sérénissime Malko Linge auraient eu également une certaine prestance, mais là encore, des écrivaillons de gare, des têtes de gondoles indétronables avaient chopé les meilleurs rôles, et des droits d'auteur qui leur permettaient de batifoler dans des bains moussants au milieu de mousmées parfumées comme des chamallows ou des " barbes à papa ".
- Avec un blaze pareil, tu vas te coltiner une vie pleine de bleus, de bosses et de moqueries, me souffla mon sinistre géniteur, raturant d'un geste rageur - s'il n'est pas rageur, à quoi sert un geste ? - Emma Bovary qui était aussi sur la liste de doléances qu'il se promettait d'envoyer au plus vite à l'Académie Française et aux jurés du Goncourt...
- Tu aimeras les courses de canassons, les parties de cartes, les marchés aux bestiaux et Chantal Goya... Tu t'embrouilleras avec tes voisins pour des histoires de météo, rencontrera Bécassine Lépine, une vraie bête de concours,  et s'il me vient l'idée de t'affubler d'un gros nez et d'une patte folle, de te faire porter des jupes, des robes, des frou-frous et des soutanes qui n'ont plus cours aujourd'hui,  ce ne sera que pure méchanceté de ma part, jaloux de n'avoir pas su te dessiner un destin fabuleux qui aurait fait pâlir le Père Ubu, sa grosse dondon,  et ce morveux de Président nouvellement élu...
Je me voyais déjà porter sur mes épaules les journées sombres des distributeurs de billets en panne, des pavés dans la mare, des jours sans vin. Je m'attendais au pire, qui est comme on le sait l'alter-ego du meilleur, et quand il referma la porte du cagibi, je sus que l'histoire ne serait pas facile, qu'une faillite était probable si l'autre zinzin ne revenait pas à de meilleurs sentiments...
Mémoires d'Emile Lavache.
Edition Leboeuf.

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