vendredi 16 juillet 2021

 -  Vous savez, je ne sors plus beaucoup... Une petite balade les mercredis avec Gisèle, ma cousine, quand elle a le temps... Sinon, je regarde un peu la télé... La météo, et les jeux surtout... Et puis, je fais des petites siestes... Je repense à feu mon mari, qu'est mort d'une glissade... Comment il s'appelait déjà ? Basile ? Armand ? J'oublie tout... Et les enfants... Ils ont dû grandir aujourd'hui, l'aînée frise les cinquante, si je me rappelle... Je mélange tout... Je fais de drôles de rêves... C'est que je ne suis pas née de la dernière pluie. J'étais déjà jeune fille, juste après la guerre... Enfant, j'ai connu l'occupation, les boches en habits, les privations, et puis, les ricains, et leurs drôles de trombines, toujours à mâchouiller leurs chwing-gums.. Le Général aussi, mais j'ai oublié son nom... Je crois me souvenir que mon père était cantonnier, ou garde-champêtre, enfin il travaillait à la Mairie... Il m'emmenait parfois braconner quelques lièvres, chasser quelques perdrix... Ma mère, elle, restait à la maison... Pensez, à cette époque, les femmes ne travaillaient pas... Plus tard, nous les jeunots, on serait tous communistes. Manouchian était encore dans tous les esprits... On rêvait d'un monde plus juste, plus égalitaire, où chacun trouverait une poire pour sa soif... On distribuait l'Huma sur les marchés, à la sortie des usines, et qu'est-ce qu'on a pu danser... Je me souviens, les caboulots, la java, le tango... Les chansons de Trenet, ou de Jean Sablon, un beau gosse à la voix de velours... J'avais de beaux cavaliers, vous savez... J'étais coquette, plaisante à regarder... Pas comme aujourd'hui... On savait qu'à la capitale, des zazous faisaient la fête dans des caves, inventaient un autre monde, mais ici, au pays, fallait trimer pour un morceau de sucre, et des patates... On n'était pas malheureux pour autant... Pas plus qu'aujourd'hui... Ne suis-je pas née plutôt dans les années cinquante ? J'aurais quel âge alors ? Mais je vous ennuie avec toutes ces histoires... Laissez donc la poussière sur les meubles, ça m'aide à me souvenir, à compter les jours... Sûr que je ne vous barbe pas avec mes fredaines, vous devez avoir aussi vos soucis... C'est pas facile de nos jours...
Mais non... Vous ne m'ennuyez pas...
Allez, on la change cette couche...
Ces gens-là.


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