samedi 14 août 2021

 J'habite dans le bloc 5, allée 26. Juste après le grand portail en ferraille, et le petit barbu sur sa croix qui semble regretter les temps heureux des miracles. Comptez une centaine de pas, puis prenez sur votre gauche, après le mausolée des Grands Hommes. Vous voilà dans notre quartier. Nous sommes une petite communauté de gens calmes, tous calanchés de mort naturelle. Ici, vous ne trouverez pas de désespérés, d'accidentés de la route, de victimes de féminicide, encore moins des bandits de grand chemin envoyés Ad Patres par des concurrents jaloux. Si vous rêvez de glorieux guerriers, de va t'en guerre oubliés dans les fosses de l'histoire, prenez plutôt l'allée des trépassés. Des visites sont organisées par le syndicat. Il vous en coûtera dix euros par tête de pipe, ce qui fait cher la bouffarde, et les mensonges délivrés par un guide fatigué, de raconter sans cesse les mêmes fadaises. Nous avons des - regrets éternels - de n'avoir pas dans notre petit lopin, quelques artistes célèbres allongés parmi nous. Des musiciens qui nous feraient la Danse Macabre, des écrivains dignes d'Hamlet, mais ils sont paraît-il logés dans des cimetières autrement côtés que notre carré de luzerne... J'ai bien demandé que l'on rapatrie le Glorieux Locataire du cimetière du Py, ça nous aurait fait une jolie compagnie, mais rien à faire... Les pauvres gardent jalousement le Bonhomme...
J'ai pour voisins les Mignons. Une famille d'industriels souffreteux, parfaite représentation de ces " Trente Glorieuses " où le pognon coulait à flot, avant que la crise, et les délocalisations ne ratiboisent leur fabrique de chaussettes, slips, et gaines pour Madame, le tout Made in Pays, premier choix, mais bien trop onéreux pour les nouveaux marchés asiatiques. Ils sont nombreux dans leur caveau, plein de gris gris cathos, à se pousser du coude, à se hausser du col, comme si ces bourgeois de province, calamiteux en diable, avaient encore leur place chez la grosse Adrienne de Montalant. Ils reçoivent beaucoup, surtout les jours de Toussaint, quand la grand-messe des chrysanthèmes va bon train. Des pleureuses patentées, de vagues cousins, et puis quelques chinois, des cabots, qui, discrètement pissent sur le gravier, entre la photo du grand-père, et l'inscription vengeresse d'un héritier mécontent qui a tagué au pied du calvaire "Bien fait pour vos gueules ! ". Un peu plus haut, là où le soleil ne s'aventure jamais, une bande de mécréants, saoulés comme un seul homme, braillent des chansons d'ivrognes, houspillent le fossoyeur, et réclament à cor et à cri, des faiseuses de sabbat, des vieilles chouettes qui font un raffut d'enfer quand la nuit refroidit le monde des vivants. Notre - repose en paix - s'en trouve troublé, même si  tout cela met un peu d'ambiance dans notre coin de luzerne, et me fait penser à l'adage bien connu dans le landerneau des macchabées " La mort n'a pas la vie facile ".
Ces gens-là.

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