lundi 24 janvier 2022

 On a ramassé une vieille routarde qui tendait le pouce sur le bord de la route, et qui, nous a-t-elle dit voulait aller le plus loin possible... Le chien Balthus a grogné qu'on était déjà bien assez de deux dans la carriole sans avoir besoin d'une femelle qui ne savait pas où elle mettait les pieds. En plus, elle sent fort la bique, j'en ai la truffe toute froissée a continué le vilain cabot... C'est vrai que j'ai pris un drôle de courant d'air dans le pif quand elle a ouvert la portière. Jus de pieds, cheveux sales... La donzelle devait avoir des kilomètres au compteur sans beaucoup d'arrêts au stand... Comme si elle lisait dans notre marc de café - sur le siège arrière, Balthus se pinçait le museau - la Babette ( On va l'appeler Babette faute de grives ) nous a dit qu'à la prochaine, elle prendrait une chambre, et une douche. Depuis la dernière pandémie, les hôtels avaient fermé boutique, et l'eau se faisait rare. Seule la Maison Commune, un bâtiment qui faisait office de mairie, d'école, de bar, et à l'occasion de tribunal quand les culs terreux se tiraient la bourre, proposait un peu de confort aux trimardeurs qui hantaient les routes. Il lui faudrait montrer patte blanche, vaccins en règle, et peut-être faire un peu de travaux d'intérêt public...  T'inquiète, je m'arrangerai, m'a dit la donzelle...J'suis sûr qu'elle a un flingue dans son sac, a ronchonné le clebs, qui non content d'être mauvais coucheur, était un peu parano...

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Dans le futur tu t'appelleras Boris me souffle mon biographe. Tu auras vécu plusieurs vies, ( celle du temps où j'm'appelais Jacky ? ). Entouré de gens sortis du même moule que toi, scotchés à la même époque, pire les mouches sur le ruban pendu dans la cuisine. Des attentionnés, des aimants, des indifférents, des qui lècheront ta couette, ou te secoueront le paletot. Des bizarres sortis de nulle part. Des carrément méchants, ou très cons, selon l'endroit où tu placeras le curseur. Sans doute élèveras tu des bêtes, comme le vieux Léautaud appelait son bestiaire. Des chiens ( tous de même acabit ), des chats, peut-être des tortues, ou des oiseaux de paradis. Pour les enfants tu feras de ton mieux... Tu connaîtras la guerre, la paix, les cataclysmes, les invasions de criquets, et les grandes messes Peace and Love, quelques chansons aussi qui te feront frémir. Si la musique servait à quelque chose, tu aurais pu devenir musicien... Tu tomberas dans l'escalier... Juste deux ou trois marches...Un chaos sans conséquences, comme tout le monde... A chacun ses étages... Des émeutes clouées comme des chouettes sur les portes de l'Utopie, et de son cortège de promesses non tenues te fermeront les yeux, et les oreilles, pendant que des femmes te rosseront jusqu'à l'os, quant d'autres veilleront sur tes braises... Et ta descendance princière, et millénaire* s'engloutira elle aussi, dans les affres du  temps.
Jusqu'à ce matin d'Avril ( Quel intérêt d'être en Avril : Aucun ) où dans un pick-up d'un autre âge, tu ramasseras une auto-stoppeuse ( qui en vérité, se prénomme Aïcha, en non Babette ) un peu bancale. Bouffeuse de bitume, et armée jusqu'aux dents.
L'histoire reste à écrire.
* Gérard Manset.



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