mercredi 11 janvier 2023

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 J'ai retrouvé une photo de Neige, prise pendant une journée de beuverie. Sans doute un week-end dans les années 90 quand la quarantaine permettait tous les excès sans que l'homme médecine n'y trouve rien à redire. La lumière du jour raconte une journée d'été, un pique nique au bord de l'étang, planqués sous les arbres, à surveiller les chopines qui prennent le frais. Un  temps à chasser les bestioles qui rôdent autour des côtelettes d'agneau, et autres saucisses en sueur. Neige, si elle n'était pas si jolie, la peau couleur caramel, et une touffe de cheveux afro posée sur des grand yeux d'un bleu méditerranéen, pourrait ressembler à Patti Smith, dont elle emprunte souvent le look (chemise blanche immaculée, cravate dénouée sur le col grand ouvert, jean Lev'is tuyau de poêle, et rangers usées) quand elle traîne la nuit dans des balades avec des types improbables que j'évite soigneusement, jaloux de ma tranquillité d'esprit.  Elle aime les Stones, Catherine Ribeiro, et les chanteuses réalistes du siècle d'avant, fume des gauloises sans filtre, et déclare à qui veut l'entendre, qu'elle préfère les filles aux garçons. Personne n'y trouvera jamais rien à redire, mais il me semble, après tout ce temps que tous les mecs de la bande ont eu quelques regrets...
 Voilà qu'un autre cliché bondit de la boite à images. Une décennie plus tard - il semblerait que ce Siècle débute sans la grande peur annoncée - Neige, et Eva, sa mère brésilienne, revenue du pays du Corcovado pour se remettre en ménage avec son ex-mari, et retrouver des enfants oubliés, sont installées à la terrasse du Palais des Saveurs, un restaurant Thaï qui fait les beaux jours de la jeunesse dorée du coin. La table est jonchée de verres à cocktails multicolores qui racontent encore une fois, une soirée d'été. Les deux femmes vaudou tiennent leur cour à bout de bras, et l'on peut voir sur le côté, l'ombre portée de Greg, le disquaire indépendant dont la boutique jouxte la terrasse du resto. Il vend des raretés. Des pépites à prix d'or (?) qu'il importe de Londres, ou de la Mecque, à des collectionneurs maniaques, qui seuls, savent que Johnny Thunders s'appelle John Genzale. Des choses sans importance qui n'ont pas pignon sur rue, mais passionnent les pervers du vinyl, les complotistes échangistes de galettes hors de prix. On se bouscule dans l'estancot, on parie sur l'arrivée prochaine d'un groupe de la côte ouest, encore inconnu en Europe, mais qui va faire un tabac... Et Greg compte les points, roule en Alpha Roméo, et paie facilement des tournées, c'est bien là l'essentiel. C'est peut-être lui, qui prend les photos, je ne sais plus trop. Ce dont je suis sûr, c'est que personne, à ce moment-là n''imagine que le monde va basculer dans des outrances qui rendront muets de stupeur tous ces bavards. 
Août 2001.

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