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 Le vieux est fatigué. Les journée paraissent beaucoup plus longues depuis qu'il garde l'enfant. Ce foutu miochon est pire qu'un jeune chaton. Le moindre bout de ficelle, la plus petite bobine de fil qui traîne, et voilà que tout se met en branle. Il faut faire des noeuds, rafistoler des machins, découper dans du carton des gugus que l'on suspendra sur le linteau de la cheminée, et puis faire, et refaire des bateaux, des étoiles, des animaux (difficile les animaux), alors qu'il fait si beau dehors. Que l'on pourrait s'asseoir tranquilles sur le banc à l'ombre du poirier avec un verre de jaja bien frais, pendant qu'il (le miochon) ferait des pirouettes dans l'herbe, jouerait avec le tas de sable dans la cour. Mais non, préfère s'inventer "des pays" comme il dit, avec les carreaux de la toile cirée, sur la table de la cuisine. On se demande où il va chercher tout cela... Et avec ça, pas avare de conneries ! Si on le perd de vue, un moment d'égarement, le voilà qui grimpe au grenier, joue avec les outils de la remise, file vers le lavoir, ou patauge dans la merde du poulailler. Jamais fatiguée la bestiole ! Tu as beau lui gueuler dessus, le menacer des foudres du bon dieu, il s'en fout. A chaque seconde, son monde se charge comme des nuages d'orage, d'éclairs ou de couronnes de fleurs. Ca secoue, ça vente dans ses écoutilles, et le voilà, Geronimo de pacotille, sur le caillou qui domine le chemin, un arc en noisetier sous le bras, prêt à dézinguer des cowboys en carton, des bisons en cavale dans le Far West de l'enfance... La seule chose qui le calme un peu, c'est que la Catherine vienne le chercher, et l'emporte vers les fiottes, le pays d'où personne ne revient jamais... La trouille qui le prend (le môme) pourrait faire sourire, mais le vieux n'insiste pas. La peur est mauvaise conseillère... C'est vrai, que ce môme n'est pas plus mauvais qu'un autre, pense-t-il en réparant la lanière d'un sabot, tripotant machinalement le couteau au fond de sa poche de pantalon. Est-ce que la brindille, un jour, se tiendra droite, raide dans la tourmente ? Le minot brille comme un soleil quand le sourire le prend. Fasse qu'il ne ternisse pas trop au fil des années... Il faudrait être chaman pour deviner la suite, et le Vieux, depuis ses tragiques campagnes, ne croit plus à grand chose... 

Eté 1958.