mercredi 25 février 2015

ON ( 2 )

J'avais perdu le goût de l'écriture. Le goût de l'encre, celui du sang, que chaque matin dans mes jeunes années, je disposais comme un puzzle tarabiscoté sur des feuillets jetés au hasard, bazardés aux plus offrants. Des inventaires d'huissiers en quelque sorte... Mes idées tordues ne rejoindraient plus jamais mes doigts crochus incapables de tenir le stylo, le stylet du scribe ou la plume d'oie des penseurs pansus.
ON prétendait que mes diverses névroses provenaient essentiellement de la disparition progressive du papier, des ramettes magiques qu'on empilait sur des bureaux surchargés de livres, de documents, de rapports, de photos volées, d'enquêtes, de sondages, de rappels à l'ordre - pour certains même de  poésie en tranches - d'aphorismes froissés et de corbeilles pleines. Je n'en croyais rien bien sûr... J'avais essayé ces prothèses oculaires qui permettaient d'imprimer simultanément des mots et des idées sur des écrans tactiles qui courraient le monde mais, encore une fois, tout allait trop vite pour moi... Et le monde occupé qu'il était à repriser ses coutures n'apportait plus guère d'attention aux élucubrations d'escargots pointant les cornes hors de leurs coquilles. Le langage électro-magnétique des peuples ayant résisté à ce que les nouvelles têtes pensantes appelaient les Grandes Défaillances suffisait à remplir l'entonnoir... Le silence règnait sur les musées-bibliothèques mis au jour quelquefois par des archéologues barbus, amateurs d'émotions fortes.

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