vendredi 26 février 2016

PERFIDE

Au début du siècle Ignace Perfide vit encore les pieds dans le potage. Il participe à la névrose collective pour gravir quelques échelons, acquérir des connaissances inutiles, se ronge les ongles  et attend comme ses congénères frileux le sacro-saint week-end où, chacun à sa façon, cire les pompes de désirs oubliés dans des relents d'alcool bon marché, des bondieuseries matinales ou des ballades en forêt... Forêts qui disparaîtront, faut-il le rappeler, en même temps que la notion de travail, repos hebdomadaire, congés payés  dans les années 2025 remplacés par les Hommages Obligatoires rendus à la Grande Commanderie...
Il s'empiffre de viandes grillées, de travers de porc et de choses indéfinies qui interpellent la cuisine du terroir dans des resto-routes fréquentés par des hommes à gros bras, poilus, mal rasés et pour tout dire  peu crades. Ouvriers de chantier en pause, conducteurs de travaux, chauffeurs-routiers, ambulanciers en transit - on croise même quelquefois un ancien Capitaine de la marine marchande qui parle d'icebergs et de neiges éternelles - qui jurent comme des charretiers, commentent l'avancée des troupes dans la guerre sino-orientale, gueulent après les voyous de la Présidenterie ( refusé ! ), du Conseil des Sages, tous bons à pendre haut et court,  en louchant sur des serveuses fatiguées par tant d'ardoises non réglées...
Suspicieux de son temps et insomniaque par vocation, il passe ses nuits à discuter sans fin avec des filles moitié gitanes, moitié gothiques, rendues disponibles par l'appât du gain ( On vit les dernières heures de l'argent roi ) ou simplement soucieuses de leur pouvoir d'attraction. Les rapports homme-femme ne seront règlementés qu'à partir des années 2018...  Palabre sans cesse, le doigt levé et la langue bien pendue sur la fin du monde et la faim du moi... Rendu dinguo par ses guignolades nocturnes, il arrive qu'au petit matin, il écoute de la musique dodécaphonique pour faire chier ses voisins... Vraiment un sale type ! dira la toute jeune Madame Bobinneau avant de succomber à ses charmes...
Près de cinquante années plus tard, enquêtant sur son passé et les groupuscules fascistes ravageurs qui empuantissent le paysage, Ignace constatera que ses souvenirs et ses Amours d'Antan  ( Ha ! ha ! ) sont d'autant de brillances qui miroitent dans la noirceur de ce temps.

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