jeudi 17 mars 2016

HIVER

L'hiver. La fin de... La neige. La dernière. La plus vicieuse. Plus lourde qu'un éléphant de mer, elle tombe une nuit en abondance sur les toits qui courbent l'échine. Dans le creux des vieilles souches. Fait plier les perchoirs à hirondelles, les voix du téléphone et fout le patelin dans le noir... Les mulots, musaraignes et autres vers de terre en seront pour leurs frais... Plus question de pointer le museau dehors, de prendre un " coup de soleil "  et de penser à se reproduire au plus vite. Le pissenlit en bouffe ses racines de rage et le crocus fait celui qui savait pas...  La garce sait qu'elle ne durera pas, alors comme un joueur qui a la baraka,  elle profite. Elle reste là, conception immaculée de l'ennui. Balance sa lumière poisseuse à travers les vitres qui gèlent à mi-parcours... Blancheur d'hôpital, pâleur de morgue... Architecture biscornue, cassante,  des dernières branches qui rendent l'âme au pied du saule crochu... Pas de quoi faire monter l'adrénaline, pousser la chansonnette. Plutôt se demander où sont les bottes, la pelle qu'on avait soigneusement rangées, cachées aux yeux chastes d'un matin clair de Mars quand le gazon repoussait sur nos têtes (... / ... ).
Il se lève, craque de partout comme une bécane montée à l'envers... Se coince les mandibules  et constate que plier le dos devient de jours en jours une sinécure. C'est la grand'messe des courbatures, génuflexions sur le parquet et chauves-souris sous les paupières.  Les chaussettes usées se baladent dans des contrées de plus en plus lointaines... Des champs plein de cailloux et d'épines que la jeunesse foulait  sans vergogne, le pif dans les étoiles et les mains dans les poches... Bien avant que les territoires ne deviennent flous et qu'on se bute dans les marches de l'escalier...
Réa dort encore, tirebouchonnée dans la couette que Vex a envoyé de Laponie ( Un autre pays de glace.. ). Elle vit des temps difficiles, prend des bains de minuit, lit et fume des cigarettes nocturnes, surveille les chiens, s'arc-boutant dans l'arrière-cour d'un sommeil insoumis. Et le matin la trouve chiffon, oublieuse du jour qui se lève.  Quelquefois, il voudrait la secouer comme on le fait avec les plumes d'un oiseau mort qui vous collent aux doigts. Comme on recrache un mauvais souvenir coincé au fond de la gorge.
La radio diffuse une chanson de quatre sous et annonce des températures en baisse toute la semaine. On parle du retour de l'hiver, des curés pédophiles et de skandales divers et variés... Il se demande ce qu'il a bien pu faire de ces fichus gants.... Faut sortir les chiens, qui tournent comme des bourriques depuis qu'il a posé le pied sur le carrelage glacé - Reste huit heures sans pisser, on verra... -, pousser le panneau anti-froid, la porte, contre-porte, la poignée moitié-gelée et la caravane s'ébranle en pleine pagaille. Les clebs lui déboulent dans les quilles, se bousculent, s'embrouillent. Coups de queue, coups de gueule... Prêts pour le pissou du matin ( le meilleur comme votre café ), ils restent un instant interdits devant le bourrelet de neige, désemparés devant le changement intervenu pendant la nuit. C'est un peu comme si on avait changé leur niche de place, posé leur gamelle à l'envers du décor... Ils retourneraient bien pisser sur les tapis, dans la litière du matou, mais n'y pensent même pas... Et puis, la poudreuse, ils aiment ça, les cabots...
Hiver et contre tous.
Editions Le Temps qu'il Fait.


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