mercredi 21 septembre 2016

LE GOURBI....

Lorsqu'il descendit de son perchoir, Ignace Perfide se promit de ramener un peu de tabac, quelques victuailles et boutanches qui lui avaient tant manqué pendant son absence. Ses voyages l'avaient conduit dans diverses pièces du gourbi, mais il n'avait pas maîtrisé pleinement l'itinéraire, et avait buté plusieurs fois sur les vieilles souches qui encombraient le cagibi....  Restait plus qu'a retourner vers la Bonne Ville...
Filet à papillons sous le bras, épuisette à litrons sur l'épaule, le drôle s'aperçut que la Cité n'avait guère changé. Les rue conservaient l'aspect terne et l'air contrit des artères de province où des violettes cheminent tirées par des caniches à frisettes et croisent des vieillards engoncés dans les journaux de la veille. Ici, on faisait quelques travaux d'assainissement, là on repeignait une façade. Le rideau d'un garage qu'on fermait faisait tomber le panneau " A Vendre " de la vitrine de la vieille pharmacie...  Le théatre et sa figure d'opérette fripée gardait la trace des tournées à deux sous, des costumes râpés et des magiciens sans illusions. Sur la grand'place, il chercha en vain une plaque rappelant la vie de Jan Bargagnole, l'estancot d'Augustine Braillard,  que les chroniques du passé portaient aux nues tant ces deux personnages avaient fait briller les lustres de la Cité. Mais seuls le monuments des morts par bêtise,  la statue de François Marie Arouet, le turlupin de la Main Morte,  et sa mise en plis ondulée, semblaient tenir  la corde des souvenirs.
Complètement désorienté ( un vent violent venu du Nord n'arrangeait pas son affaire ), Ignace ne savait plus s'il se trouvait dans le Haut-vilois ou le Bas-vilois. La frontière où jadis des gabelous scrupuleux examinaient vos coordonnées à la loupe ( ou à la lampe d'Aladin les Milles et Une Nuits ) existait-elle encore.... Le bourdonnement de la Centrale avait disparu remplacé par les piaillements de corbeaux en rut et quand il demanda à une rombière de qualité la direction du quartier de Belles-Touffes, la réponse fut négative. A part le faubourg Belle-vue, l'impasse Bel Ami ( Voir Maupassant pour les premiers de la classe ! Note du traducteur. ), la fieffée n'avait jamais eu connaissance de touffes quelconques.... L'Office de la Tourista n'était ouvert au public que les jours en Z,  ce qui perturba notre baudet qui avait perdu la notion du temps et des bonnes manières. Que reste-t-il de nos amours ? pensa le vilain parce qu'il fallait bien penser à quelque chose et qu'une petite pluie vacharde glaçait le col de sa gabardine... Il n'était pas exclu d'ailleurs que cette bourrasque fasse prendre l'eau à ses Amours d'antan et lui redonne avec ses boutons et sa grosse ceinture,  des envies de Faucon Maltais....
L'heure matinale et le temps de chiotte n'engageaient pas les rares passants à tailler bavette, même sous un Coin de parapluie.
- Y'a vraiment des chansons à la gomme ! soupira l'intrus planté comme mât de cocagne devant la Mairie qui pionçait dans son écharpe tricolore. Où étaient passées les cohortes de dinguos qui montaient vers les " Culs Bénis " pour prier la Madone et son papa ? Et les Bourgeois à qui l'on montrait notre cul... Pourquoi le fameux Scalapandre Organi ne figurait-il pas sur les cartes des estaminets qui s'alignaient le long de l'avenue de la République ? Le zébu n'avait même pas souvenir qu'une pareille avenue eût existé dans son imaginaire de moineau. Déjà qu'avec l'âge, il acquérait ( refusé ! ) une mémoire de " poisson rouge " comme disait les gamins d'aujourd'hui...  " République " quel mot bizarre... On aurait dit une station de métro chez les Parisiens têtes de chiens, pensa-t-il, se grattant l'occiput qu'il avait protubérant... Il aperçut bien derrière le nez triste des gargottes quelques âmes grises qui s'empiffraient de snack-burgers, de frites-nouilles et morteaux- cancoillote ( dont la couleur spermatique lui coupa la chique ) mais pas un seul joyeux convive installé devant un ragoût de Tireblotte Cornue, sirotant une fiole de Sang du Pape en braillant que Non... Non... ce bon St Eloi.... < Tristesse et désolation ! Mensonges et forfaiture ! Dolce et Gabbana ! > pleurnicha le médusé qui s'y connaissait en défilés et manteaux de bison...
Il faut le dire. Ignace n'est pas courageux et une sainte trouille le saisit ( vite endiguée par un chapelet de pets sonores ) quand prenant son élan pour sauter dans une flaque, il constata que Suzon Pataflore ( la Suze dans le déduit... ) avait elle aussi disparue de son répertoire téléphonique...
< Y'a vraiment quelque chose de pourri au Royaume de Truanderie > marmonna Suzanne Bobinneau qui connaissait ses classiques en regagnant son gourbi... L'histoire fit deux petits rotous et s'endormit comme un bébé. Ignace, quant à lui, décida de garder un oeil ouvert sur l'évolution de cette Bonne Ville... On naît jamais trop prudent....
Ma vie est un rêve.
Editions Flip Flap Flop.

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