mercredi 14 juin 2017

LAVACHE

Chaque matin dans la cour de l'école, ça meuglait dans mon dos. Meuh ! Meuh! faisaient les apprentis-sorciers, les petites frappes de la récré... Des futurs citoyens que je rencontrerais plus tard, gras comme des porcs, suant sang et eau pour trouver leur place dans la souille... Des bêtes de foire qui prendraient femelles et reproduiraient les errements de leurs ancêtres, prescripteurs de lois qui mettaient de l'ordre dans la basse-cour et tuaient les animaux de boucherie...  La piétaille n'était pas avare de bons mots, de pseudos, de méchancetés qui me laissaient suspendu au porte-manteaux, aux côtés des blouses grises et des godillots de l'hiver, attendant vainement qu'un peu de poils me poussent au menton, que mon nez s'allonge... Et un peu de compassion de l'autre abruti - mon suzerain - qui ricanait au fond du couloir en préparant quelques mauvaises actions.
- Lavache à lait, Lavache enragée, Lavache qui rit ( un fromage en vogue à cette époque dans les cantines scolaires ), Lavache qui pisse - quand il pleuvait des hallebardes -  Rien ne m'était épargné... Les plus grands me coinçaient dans les pissotières, promettaient de m'encorner, de me tanner le cuir - Venez on va traire Lavache ! un de leur jeu favori - et de " m'emmener au taureau "si je ne votais pas au conseil de classe, ne partageait pas mon picotin et leurs idées de maroufles... D'autres, moins ras le sol, moins va en guerre,  me surnommaient affectueusement Marguerite... Une histoire de prisonnier qu'ils avaient vu au Rex, le cinéma du quartier,  avec un acteur aux dents de cheval dont le nom n'échappe aujourd'hui. Les " maîtres " ne valaient guère mieux. Des garde-chiourmes de la morale et de l'instruction civique qui vous tapaient sur les doigts et vous envoyaient chez le " Directeur " ( le maître suprême ! ) à la moindre incartade, au moindre sourire qui pointait sur vos lèvres... La poésie n'était pas de mise, si elle n'était pas encadrée par les moustaches du Maréchal, un vaillant guerrier que nos parents avaient adulé avant la grande débâcle... Je m'imaginais dans ma tête de piaf, pendant que La Fontaine racontait sa fable au tableau, qu'un peu de justice ne nuirait pas à l'agneau... Qu'il pourrait foutre sur la margoulette du loup... J'étais un doux rêveur, un Petit Chose qui s'emmerdait sous les platanes et évitait les mastards qui lui cherchaient des noises...
- Je t'avais prévenu ! persiflait le bandit... J'ai de la corde de pendu toute prête... Des coups de pioche sur la tête et des baisers dans le cou... Tu vas voir, on va bien rigoler...
Mémoires d'Emile Lavache.
Editions Leboeuf.

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