L'hiver, j'aime bien traîner mes guêtres sur les hauteurs. Ces coins un peu paumés que les autochtones appellent les " hauts de bise " et le syndicat d'initiative " la petite Sibérie " pour attirer les benêts qui voudraient partir sur les traces de J. London, avec une peau de bête sur le dos, et une carabine à poudre noire en bandoulière... Il y a quelques années, on croisait encore des traîneaux tirés par des clebards qui cavalaient des petits coussins aux pattes pour éviter les engelures, mais aujourd'hui, le manque de neige, le réchauffement de la bouilloire, la crise, et l'arrivée des masques sous le bonnet ont chassé les derniers muschers... Restent plus que quelques arbres rabougris qui se les gèlent, les pieds dans la glace, et la ferme des Chauviaut qui fabrique des frometons à la gentiane qui te chauffent les gencives... Ici, pas de bagnoles qui pétaradent, pas de pékin pour venir te demander l'heure, et pour la prochaine pompe à benzine, faut consulter les pancartes... Ce qui réjouit le rêveur solitaire, et l'amateur de grands espaces.
Faut faire gaffe quand même. Si le blizzard se lève d'un coup, s'il te tombe une rabasse de poudreuse sur le pif, et que les grands sapins te regardent de travers, faut déguerpir au plus vite. Suivre les piquets à vaches qui pointent le nez, renfiler la chapka, sinon, l'été revenu, on te retrouvera congelé, moitié bouffé par les renards, et les corbaks qui surveillent le garde-manger... Vous pensez que j'exagère ? Que je vous mijote des aventures à deux balles ? Z'avez pas tort... J'adore pousser le bouchon...
Demain, je vous raconterai combien il est bon, l'été, de se glisser sous la cascade de l'Ane, en braillant " le temps des cerises " parce que, quand même, les cerises c'est sacrément bon...
Le Merle menteur.
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