PETIT DEJEUNER...*

Ils attendaient que le jour se pointe en fumant des cigarettes assis au bord du vide. Ils ne parlaient guère,  occupés l'un et l'autre à polir leurs bosses à grands coups de whisky bon marché, qu'ils mélangeaient à du jus de papaye en guise de petit déjeuner. Ils venaient pourtant d'un temps où l'on ne commmuniquait qu'avec la parole, la parlote, la discute, les cans cans, les ragots, les langues bien pendues que l'on s'échangeait entre voisins, assis sur la véranda des vieilles maisons en bois qui transpiraient sous le soleil ou craquaient de la toiture sous les neiges de Novembre. Le blabla des rombières, les piailleries des moucherons aux nez sales et les gueulantes des cow-boys du saloon ça vous faisait un barouf qui étonnait toujours le silence...

- Nous ne sommes plus que de vieux indiens sans territoire et sans tipi dit l'un.

- Ca empêche pas la cavalerie de nous courir aux fesses rétorqua l'autre en souriant dans ses chicots.
La cavalerie... Certes ( oups ! quel drôle de mot ! )... Le colon devant la troupe, sabre au clair, bottes cirées et idées bien faites, tout ce beau monde d'épaulettes et de raies sur le côté veillait... Quand deux poilus baguenaudaient sur les hauteurs, forcément, fallait séparer le bon grain de l'ivresse, ramener les brebis dans l'enclos... Sont capables de n'importe quoi ces bestiaux... Basculeraient dans le ravin rien que pour faire chier le monde, ces engeances qu'avaient toujours un sabot où il faut pas...
Il attendaient que le jour se pointe en fumant des cigarettes assis au bord du vide. Quand l'escouade ( oups ! quel drôle de mot ! ) est arrivée pour mettre de l'ordre dans la chambrée,  ils ont détalé comme des garennes en faisant des doigts et en gueulant " A mort l'arbitre ! "...
C'était un pt'it matin... Quelque part en Bourgogne à l' heure du Petit déjeuner...
* Journal Confus.