Cette nuit, j'ai déterré ma mère. Petite ménagère des années 60, écrasée par son mammouth de mari, et des miochons pas même reconnaissants, quand elle préparait les beignets aux pommes, que Gisèle, sa voisine lui enviait... 

Je l'ai présenté à Maître François sous les fourches patibulaires de Montfaucon, l'ai emmené voir les Nouvelles Amériques, et ma foi, elle a fait la popote pour les insurgés Communards, pendant que le jour même de la mort du Père Hugo, Louise Michel refusait l'amnistie dont elle bénéficiait, pour finir sa peine avec ses " soeurs de misère "à St Lazare. Voilà maintenant qu'elle gambille le cancan au Moulin Rouge, et si vous êtes attentifs ( ce dont je ne doute pas ), vous l'apercevrez derrière la Goulue sur une affiche du petit Toulouse. Elle figure furtivement dans les rengaines à quat'sous, qu'elle aimait tant, fait du gringue à Luis Mariano, son préféré. Ferait même la zozotte dans les oeuvres d'un poète moustachu qui partage ma couche, et mes journées... En 1961,elle assiste au premier passage public de Johnny Hallyday ( qu'elle n'aimera pas beaucoup ), dans la salle mythique de l'Olympia, et en 1964, elle sera au premier rang, dans cette même salle, pour les adieux de Jacques Brel ( qu'elle aimera beaucoup ).

Sous le pseudonyme de Marie Ruana, elle s'en ira voir si les petites fleurs poussent à White Lake. On lui prête une aventure avec Jimi, mais ça c'est mensonges, et compagnie, comme la rumeur qui prétend qu'elle aurait fricoté avec Dany le rouge, devant la Sorbonne. 

La voilà qui découvre un vaccin, fait des loopings dans les premiers coucous, traverse les océans dans des transatlantiques, frôle des icebergs, et saute de lianes en lianes avec Johnny Weissmuler... Une vie de femme bien remplie, ripailleuse de vie, en quelque sorte.

Ce matin, elle m'est apparue comme un reflet du passé dans mon bol de café, pareille aux petites femmes nues au fond des tasses de saké.

Cela valait bien quelques menteries....