Clouseau ( 2 )

 Elle avait pour habitude de s'installer sur la véranda de la vieille maison, tout près de la jetée qui s'avançait sur l'étang, là où les cyprès faisaient de l'ombre aux carpes, et autres poiscailles qui flemmardaient dans l'aqua. Elle emportait avec elle sa guitare. Une Espagnole de concert, léguée par un vieil oncle excentrique ( et mélomane ) qui un matin de mai - il faut bien nommer les choses du temps - avait délaissé Rodrigo, ses concertos, et autres adagios, pour s'en aller dans un brass band tyrolien - culotte de peau, et chapeau à plumes - jouer du tuba, ce qui paraît raisonnable vu que le bonhomme ne manquait pas de souffle, et adorait les cloches à vaches... Le vilain tonton avait mis l'instrument ( la guitare ) aux enchères devant une famille de jean-foutres qui n'aimaient pas la musique, conchiaient la littérature si elle n'était pas dans " Voici", et se régalaient des faits divers horribles du " Nouveau Détective ". Des malfaisants à colique quoi... Comme on en croise tous les jours sur le Boulevard du crime. Contre quelques croutons de pain, et une chopine de rouquin, la belle avait emporté la mise, et depuis, elle s'usait les doigts dans des menuets à la noix, ou s'accompagnait, fredonnant, des chansons improbables, à mettre en rogne les roseaux du coin, qui, tout le monde le sait, plient, mais ne rompent point...

Gitane diaphane, limite anorexique, la faute aux bouffeurs de graines, qui sévissaient dans la contrée, rêvant d'un monde sans escalope, bien rangé autour d'une tranche de tofu, et d'un verre d'eau bénite, elle entendit par un joyeux Sunny afternoon, un air d'harmonica sorti d'entre deux nénuphars, ce qui n'est pas chose courante dans nos étangs, plus habitués aux piailleries des grenouilles en rut... Un vieux blues sorti tout droit du bayou, qui lui rappela un type disparu depuis longtemps... Et quand l'inspecteur Clouseau vint l'interroger, ils convinrent derechef que les histoires courtes sont toujours les meilleures... 

Histoires courtes ( Suite et fin ).