Six heures trente. Je fais le paulo sous l'abri-bus. J'attends l'ouverture du magasin dans le calme relatif de neurones toujours en alerte... Vite fait, je fais un inventaire (évite Prévert, déjà vu !). Sur la place, pas de noctambules finissants qui dérapent sur un rail dans un train d'enfer, pas de rapetous en cagoule qui courent partout, parce qu'ils viennent de braquer la boutique de farces et attrapes... Rien que des vieux mamouths dégarnis, la trompe en jachère, qui s'alignent en file indienne, histoire de ne pas louper le premier crouton, et quelques maris éconduits, qui troquent des viennoiseries pour se faire pardonner des ardeurs molles, des fins de mois difficiles, et un début de calvitie qui fait rigoler les collègues. La vie quoi... Tout ça me rend ronchon. Enervé du bulbe de ne pas savoir d'où vient l'expression" en file indienne " ? Est-ce que les indiens des grandes plaines y sont pour quelque chose ? Faudra que je demande au Petit Robert. En rang par deux ! A la queue leu leu, les plus grands derrière ! Faut toujours qu'on nous range dans le défilé... J'entends au loin une corne de brume, sans doute un drakkar viking qui croise pas loin, la trompette bouchée de Chet, ou simplement ces foutus acouphènes qui me zèbrent les oreilles... Les junkies du rapido attendent aussi que le dealer de la Française des jeux tire son rideau, et le croiriez vous, un balayeur sans papiers ramasse les crottes de clebards malveillants, et de maîtres mal élevés. Tout ça est à prendre avec des pincettes, bien sûr... D'un coup, une saleté de nuage lève la patte, et pisse sans retenue sur ce beau monde (?). Je fais quelques assouplissements qui m'aideront à passer au travers des gouttes, pense au gandin Gene qui danse sous la pluie qui fait des claquettes sur le trottoir à minuit, vous connaissez la chanson, et m'avance sous le déluge. De toute façon, inutile de rester sous l'abri. Le dimanche, y'a pas de bus...

Journal Confus.